Raymond Lemoine nous offre un regard à la fois naïf et franc d’enfant, et celui sensible et
teinté de mélancolie d’un homme d’âge mûr sur son enfance à Sainte-Agathe, au Manitoba.
La joie du confessionnal
– Le réseau des péchés –
Avec le temps, le fait que ma confesse mensuelle était toujours la même commençait à me tracasser. Convaincu que Monsieur le Curé était sans doute tanné de m’entendre confesser les mêmes platitudes, je l’imaginais assis dans la noirceur de son confessionnal, se levant les yeux vers le ciel lorsqu’il me voyait venir. Cette frustration d'absence de nouveaux péchés me causa des ennuis jusqu'au jour où j’en ai parlé à mes frères.
À ma grande surprise, mes frères m'ont avoué qu'eux aussi, lors de leurs visites mensuelles au confessionnal, avaient souvent fait face à cette insuffisance des trois péchés obligatoires. Pour combler cette frustrante déficience, tous les premiers vendredis du mois, mes frères ingénieux avaient établi un genre de système de partage et de recyclage de vieux péchés, un genre de réseau de péchés interchangeables. En plus, ils m'ont affirmé que ce système de péchés à la pige ne se limitait pas seulement à eux, mais incluait pratiquement tous les autres gars du village. D’après eux, il semblerait que j’étais possiblement le dernier pêcheur sur la terre à ne pas recourir à ce réseau de péchés amovibles.
Sans tarder, mes frères me mirent au courant de la brochette de péchés proposés et m’invitèrent à m'en servir librement, tout en m'assurant qu'avec le temps et un peu d'expérience, je connaîtrais le réseau dans ses moindres détails et mon choix deviendrait alors plus sélectif et raffiné. Je fus vite converti à cette méthode pour combler mon quota de trois péchés mensuels. Bien sûr cette méthode n’était pas parfaite et contenait quelques lacunes. D'après l’enseignement que nous recevions des Sœurs à l’école, la confession avait toujours été une discussion confidentielle entre moi, le pécheur, et Monsieur le Curé, le médiateur entre moi et le Bon Dieu. Vouloir maintenant discuter ouvertement de mes péchés avec un simple mortel ne me semblait pas du tout bienséant; même que cela frisait peut-être le bord du sacrilège. Mais enfin, cette inquiétude d’arriver au confessionnal, dépourvu de mes trois fautes commises contre la loi divine, me poussa vers l’adoption de ce système du réseau des péchés.
J'étais maintenant un abonné du réseau des péchés. Durant la demi-heure de réflexion personnelle avant mon entrée au confessionnal, je faisais un tour au grand buffet des péchés à ma disposition. Mon tour arrivé, je franchissais les rideaux rouges du confessionnal, muni des trois péchés obligatoires et de la certitude que ma confesse en vaudrait la peine. Non seulement étais-je devenu un adepte du réseau des péchés, mais je l'avais perfectionné au point où j’osais croire que le bon Dieu Lui-même était sans doute impressionné.
(suite au prochain numéro)